Jeudi 13 juillet 2006. 16h30.
Pamplona roupille, digère, distille. C'est la soupe à la grimace devant la Meca. La soldatesque de la magouille est mieux rasée que d'habitude, le souci de plaire oblige. Ils nous regardent gentiment , pour une fois, mais il y a des fidélités dont on se passe aisément. Le guichet des arènes est ouvert et affiche en immense : "Hay billetes para la corrida del 13". Provocation !
Estafeta vivote, les festayres tirent leurs derniers boulets. Seules les marchands de glaçons sont de "juerga". La San fermín se regarde mourir, comme portée par une agonie irrémédiable, pleine de joie et d'abrazos. La glacière est prête, au menu aujourd'hui : daube du Tursan, saucisses fermières et un petit jaja des graves. De quoi tenir deux heures en somme. Puerta D-E. C'est la procession des poubelles, le défilé des glacières, la farandole des hielos. L'escalier jusqu'aux andanadas est plus que raide, le bruit monte, c'est connu. Le numéro de la place ne compte pas. Tu poses tes fesses quelque part entre le sale et la lumière. Les peñas s'installent, une fourmillière prépare l'impatience d'y être. Il y a deux peñas à éviter quand on est aux andanadas de sol. La "Rotxapea", nid d'ignares dont l'emblème est une blonde mignonette à l'amabilité d'un pittbull psychopathe et la peña "San Fermín", nid de couillons gras du bide et bas de neurones. Mettez-vous ailleurs, avec les autres, ceux qui se foutent d'où tu viens et qui te remercient pour leur fête quand tu leur dis que ça fait x années que tu noircis ton postérieur entre la sección 10 et la sección 14.
18h30. Le graves passe bien ma foi. Dans un instant, Juli, Miguel Angel Perera et Posada vont se coltiner 6 toros de Fuente Ymbro, du Jandilla pur porc. Pour des cochons, ils en furent. A part le premier bien dans le type et con trapío, le reste fut un salmigondis de possibles saucisses, d'éventuels boudins noirs, de probables andouillettes. Du poids, du poids, du poids ! Et des cornes, c'est vrai. 685 kgs de barbaque pour le second, allez comprendre pour du Domecq. Posada prenait l'alternative. Tout le monde l'a applaudi, pour lui souhaiter une belle carrière et puis on est retourné à nos affaires. Le graves, maintenant, surfe au fond de la gorge et à côté de nous vient de s'assoir María. Le cheveu noir comme le poil des Fuente Ymbro, le sourire comme une banane de Guadeloupe trempée de sangria et tous les bleux du ciel dans ses grandes pupilles, un île du pacifique ; on plonge, sans se mouiller la nuque.
Le doctorant s'est un peu fait manger par son toro, une bestiole bravita et encastée à la charge correcte. Ils lui ont filé le prix Carriquirri. Ils font ce qu'ils veulent après tout. María est sympathique et généreuse. Sa glacière jaune et verte pèse lourd et elle veut l'alléger. Elle chope nos écuelles et les fait disparaître, puis renaître, llenas, avec des fruits qui flottent. Magie du lagon bleu ! Le Juli est dans la place, Yo. "Juli ! Juli !...". Le camion de chipolatas est une mule sans fond qui passe bien à gauche. Rien aux piques (à part la classique carioca et la "normale" : une puya assassine dans les reins) mais de toute façon, on danse ; c'est la Chica Yeye.
"No te quieres enterar,
Que te quiero de verdad
No te quieres enterar,
No te quieres enterar, ye ye,
Que te quiero de verdad, ye ye ye ye,
Y tendras que pedirme de rodillas,
Un poquito de amor.
Pero no te lo daré, ye ye,
Porque no te quiero ver, ye ye ye ye
Porque tù no haces caso ni te apiadas
De mi pobre corazón".
C’est l’heure du grand rendez-vous, la marche nuptiale de la corrida à Pamplona, notre « hymne à la joie », une symphonie du bonheur de vivre.
On se lève tous, on se déhanche bizarrement, les bras tendus vers le soleil. La Chica Yeye ! Ça dure jamais assez longtemps. Les chevaux ont fait leur besogne, les mecs plantés dessus beaucoup moins bien, la Chica Yeye s’est faite supplier pendant de trop courtes minutes. Avé, María ! Le Juli entame à gauche, intelligemment, en choisissant le terrain adéquat. Le toro met mal la tête mais le maître du ruedo n'a pas dit son dernier mot. Bien en face du berceau, la jambe ultra avancée, il se croise comme un écartelé. Trois ou quatre passes qui font faire la ronde au bicho, trois ou quatre coups de bambou pour le rôti tout noir. Du grand art dans la technicité. Le Juli est un king. Changement de main et le toro passe, il abdique ; c'était une évidence. En quatre passes, ce petit homme a dit ce qu'il savait, quasiment tout sur les toros. Miguel Angel Perera est d'un ennui. Cette grande silhouette "sveltesse" ferait ronquer une pile Duracel. Ses faenas sont stéréotypées, il est là, planté devant la bête et il donne des passes mais il ne les fait pas. L'entame porte pourtant sur le public. Un cite de loin et hop, la suerte du pendule qui effraie les mamies, les papys, la belle-fille, le petit garçon et ces mozos du soleil en mal de "grandes" émotions. Techniquement, cela ne conduit pas la charge, n'impose rien à la bête, ne lui explique pas ce qu'elle doit faire. C'est un quiebro, ni plus ni moins. Après, oh mon dieu, après ! Autant de passes que de pélerins à Lourdes le 15 août.
María poursuit ses tours de magie pendant ce temps-là et c'est bien heureux ! Juli a remis ça à son second, en mieux peut-être, encore plus dominateur, encore plus croisé. J'ai profité du calme offert par l'almuerzo (divine la daube du Tursan) pour savourer la leçon. Ce mec fait comprendre les toros, toujours un peu mieux. Le graves est terminé, pas la glacière de María. A l'attaque ! Perera revient. Posada aussi est revenu mais on était en apnée au fond du bleu, noyé dans une sangria salvatrice. En haut, collés sous la tôle verte, les músicos, parmi lesquels les "Calientes" de Dax, ont commencé un délire venu du nord et des années 1970-1980. Le répertoire entier d'Abba y est passé. Boîte de nuit et une boule à facettes géante au-dessus de nous. Dancing Queen a rendu tout ce peuple hystérique ; je pensais au Juli, le king.
On s'est tous claqué la bise en partant, en se disant à demain ou à bientôt ou à l'an prochain pour ceux qui ne revenaient pas.
Les escaliers de la plaza de toros de Pamplona sont raides, le bruit descend toujours à un moment, c'est forcé... Il descend lentement pour ne pas se casser la gueule.